La carte dans le jeu vidéo

Cet article a été rédigé pour un atelier de Fériel Boushaki avec des enfants de 8-10 ans. L'objectif de cette intervention était de sensibiliser les participants à la poésie inhérente aux systèmes cartographiques, en utilisant l'exemple ludique des jeux vidéo. La présentation a été réalisée à l'aide d'un suport visuel vidéo projeté, entrecoupé de discussions ainsi que de courtes activités pratiques. Ces temps d'activité pratique, eux aussi décrits ci-dessous, permettent aux participants d'investir par eux-mêmes les problématiques relevés pendant la présentation, mais aussi de leur permettre de convoquer la géographie qu'ils connaissent, celle de leur quartier, du quartier de leur école, etc.

Introduction

Dans notre quotidien, les cartes servent à représenter des informations géographiques sur un support réduit. Leur objectif est d'offrir une lecture concise et efficace, afin de nous permettre une compréhension rapide et pertinente.

Les cartes présentes dans les jeux vidéo partagent le plus souvent cette même ambition, à la différence près qu'elles ne traitent pas la géographie qui nous entoure, mais de celle figurée par le jeu. Les informations qui nous intéressent dans un jeu ne sont en revanche pas nécessairement les mêmes que celles que nous cherchons dans une carte au quotidien. De ce fait, les cartes des jeux vidéo ont adoptées toute une diversité de formes originales afin de servir au mieux les différents types d'expérience proposées au joueur.

Si nous prenons le temps de les étudier et de comprendre leur rôle, ces cartes peuvent nous renseigner sur les choix qui ont été fait par leurs créateurs : quel type d'expériences ont-ils voulu créer ? Avec quels moyens y sont-ils parvenus ? Mais aussi, remis dans le contexte de notre expérience quotidienne des cartes et de la ville, ces solutions créatives nous offrent également de nouvelles perspectives pour appréhender la géographie de notre quotidien. Avec ces quelques études de cas, nous allons voir comment les cartes des jeux vidéo peuvent nous inviter à regarder la ville de façon plus ludique et poétique.

La carte intelligente

Pour notre premier exemple, nous allons parler des cartes qui ressemblent le plus à celles que nous consultons au quotidien. Nous allons appeler ces cartes les cartes intelligentes, car elles reprennent le fonctionnement de celles de nos smartphones, même si celles-ci sont en réalité apparues dans les jeux vidéo avant de se retrouver sur nos téléphones.

Ce qui rend une carte intelligente, c'est d'abord le fait qu'elle soit dynamique. En effet, celle-ci se met à jour en temps réel, afin de n'afficher que les informations nécessaires, contrairement à une carte imprimée. Ensuite, le joueur y est toujours positionné au centre, comme l'est l'utilisateur d'un smartphone quand il consulte une carte. Le joueur n'a ainsi accès qu'aux informations qui le concerne dans l'immédiat, afin de pouvoir l'aider dans sa navigation au fur et à mesure de sa progression, de la façon la plus compacte possible.

Dans cet exemple, la carte évolue en fonction des déplacements du joueur pour ne représenter que la géographie qui entoure son personnage. L'objectif de ce type de carte est de pouvoir être consulté pendant que le joueur navigue. Pour cela, la carte doit prendre le moins de place à l'écran possible, les éléments qui y sont présentés sont donc résumés au minimum, à commencer par l'échelle. Cette dernière correspond à l'étendue géographique accessible immédiatement par le joueur, on remarque à cet égard que la plupart des cartes de ce type ont un affichage circulaire pour que la zone représentée corresponde encore d'avantage à celle accessible par le joueur en un temps donné. On peut imaginer que si le personnage du jeu avait été à bord d'un véhicule, sa vitesse de déplacement aurait alors été plus rapide, et l'échelle de la carte aurait dû être plus grande.

Une autre caractéristique des cartes intelligentes est leur orientation. Plutôt que de pointer vers le nord, ou quelque autre direction prédéfinie, la carte change d'orientation en continu, afin que le haut de carte corresponde toujours à la direction vers laquelle se dirige le joueur. Une fois de plus, ce fonctionnement permet au joueur d'accéder aux informations qui le concerne de la façon la plus efficace, afin que son attention puisse continuer d'être sollicité par l'environnement figuré par le jeu. Enfin, la carte affiche des marqueurs de direction, afin d'orienter le personnage vers une destination qui dépasse l'affichage de la carte, en lui donnant une direction absolue, de la même manière qu'une boussole. Lorsqu'elles sont plus proches du joueur, ces destinations sont alors directement affichées sur la carte. Ces marqueurs correspondent le plus souvent à des points d'intérêt pour le joueur, qui peuvent être autant d'objectifs, d'éléments à trouver ou de personnages à rencontrer, et lui donnent ainsi une direction générale pour guider son évolution.

Si toutes ces caractéristique ont pour but de faciliter la lecture de la carte au maximum, elles ont aussi pour effet de donner une représentation du monde qui tourne littéralement autour du joueur et de ses déplacements. La carte intelligente propose une représentation de l'univers du jeu qui peut être lue comme une étendue des possibles qui sont offerts au joueur dans l'immédiat : les zones auxquelles il peut accéder, les objectifs à atteindre, les objets à trouver... Ce type de carte permet donc au jeu de mettre en avant les options qu'il offre au joueur en le prenant par la main, mais aussi de représenter la géographie du jeu comme un espace de liberté foisonnant de choses à découvrir. Enfin, dans des jeux plus datés où des contraintes techniques limitaient le nombre d'éléments qu'il était possible d'afficher à l'écran, la carte intelligente permettait également d'inscrire l'environnement immédiat du joueur dans une géographie d'ensemble plus convaincante en figurant des espaces au-delà de ceux que le jeu était capable d'afficher.

Activité pratique

Représentez un lieu comme un espace de liberté

Choisissez un lieu que vous connaissez et visualisez-vous dans cet espace. Réalisez une carte de ce que vous pouvez atteindre en une minute, avec votre position comme point central, puis ajoutez-y des points d'intérêt, objectifs à remplir, choses à observer, sous forme d'icônes de votre choix.

La carte lacunaire

Si les cartes peuvent aider à la navigation, elles peuvent aussi avoir pour effet d'atténuer chez le joueur le sentiment de découverte et d'exploration. Pour cette raison, certains jeux proposent aux joueurs des cartes qui ne se révèlent qu'au fur et à mesure de leur exploration. Nous appellerons ces cartes les cartes lacunaires, puisqu'incomplètes, ne figurant que les espaces que le joueur a déjà visité.

Dans cet exemple la carte est un élément diégétique, c'est-à-dire qu'elle fait partie intégrante de l'univers fictif dépeint par le jeu : le personnage la tient dans sa main et la consulte en même temps qu'il se déplace dans l'environnement du jeu. Si on regarde attentivement, on constate que la surface représentée sur la carte s'étend au fur et à mesure des déplacements du joueur. La partie remplie de la carte permet ainsi d'archiver l'environnement découvert par le joueur, tandis que la partie vierge renseigne sur l'étendue de la zone à découvrir.

Comme pour la carte précédente, une icône représente la position du joueur, mais cette fois-ci, c'est lui qui se déplace sur la carte et non plus l'inverse. La carte représente une géographie plus large dans laquelle s'inscrit la position du joueur, et c'est à lui de faire le travail nécessaire pour s'y orienter. Il n'est plus question pour lui de savoir de quel côté tourner, mais plutôt de définir un itinéraire au travers des différents lieux représentés, ou vers telle zone inexplorée.

En plus de ne donner accès au joueur qu'aux informations qui résonnent avec son expérience du jeu, les cartes lacunaires permettent également de préserver la surprise inhérente au fait de découvrir l'environnement du jeu par soi-même. Elles permettent aussi de documenter l'état des connaissances du joueur à un moment de sa partie, tout en titillant son envie de tout explorer de manière exhaustive, et de pouvoir contempler sa carte dûment remplie. Ce type de carte est souvent sollicité dans les jeux où l'exploration tient une part importante de l'expérience. Certains jeux s'efforcent même de renseigner le moins possible sur l'étendue totale de la géographie du jeu, toujours afin de favoriser l'effet de surprise du joueur qui découvre un type nouveau d'environnement.

Ce type de carte est parfois aussi utilisé dans les jeux vidéo où le joueur ne contrôle non plus un seul personnage, mais bien tout un groupe, tels que les jeux de rôle, ou les jeux de simulation militaire. Là encore la carte lacunaire permet de représenter l'état des connaissances géographiques du joueur en masquant les zones non explorées, mais aussi de masquer tout ou partie de celles qui ne sont actuellement visible par aucun de ses personnages. La carte représente alors une synthèse des connaissances de plusieurs témoins durant la partie, permettant ainsi au joueur de s'identifier dans le groupe et de partager avec ce dernier le même niveau de connaissance de la géographie du jeu.

Activité pratique

Réalisez un état de votre expérience actuelle de la ville

À l'aide d'une feuille de calque, reproduisez à partir d'une carte les rues que vous avez déjà empruntées.

La carte mentale

Pour préserver toujours d'avantage un sentiment d'exploration, certains jeux décident de se passer totalement de carte, permettant ainsi au joueur de se perdre, de tourner en rond, pour pouvoir enfin s'orienter lui-même et trouver son chemin. Seulement, le jeu doit tout de même s'assurer que le joueur puisse parvenir à se repérer et ne manque pas les surprises qui lui ont été préparées. Bien qu'aucune carte ne soit figurée dans ce type de jeu, il en est pourtant une qui se dessine peu à peu dans la tête du joueur lors de son aventure, nous allons appeler ce type de carte les cartes mentales.

Il existe ainsi différentes astuces afin de permettre au joueur d'évoluer dans une géographie dont il ne connaît pas le détail, tout en lui donnant les moyens de mettre en place sa propre compréhension des lieux. Pour commencer, l'environnement représenté par le jeu doit être riche en détails notables pour le joueur.

Dans cet exemple, le joueur remarque un passage qui mène à un environnement différent du jeu. De l'extérieur, nous apercevons déjà dans ce passage des éléments qui nous communique que quelque chose de différent se situe à l'intérieur. L'imposante forme violette dénote avec le sable et la végétation rouge du reste du paysage.

Les regards les plus attentifs remarqueront cependant un autre élément plus discret, placé très proche du passage en question. Une petite structure est visible au sol, sur leqeul on peut lire le numéro 17. Cet élément qui peut paraître anodin au premier abord peut s'avérer d'une aide précieuse pour un joueur qui voudrait cartographier lui-même la géographie du jeu. Il s'agit d'un élément unique dans le jeu, facilement identifiable, pouvant permettre, par exemple, de retrouver le passage précédemment évoqué.

Dans cet autre exemple, le jeu utilise une autre solution pour inscrire un lieu dans la carte mentale du joueur. À l'aide de notes dispersées dans l'environnement du jeu, le joueur apprend l'existence de lieux et récolte des indices pour les trouver. Ces lieux mentionnés font alors partie de la carte mentale mise au point par le joueur avant que celui-ci n'ai eu l'occasion de les visiter. Ces indices permettent ainsi de guider le joueur dans sa progression, sans lui ôter la sensation d'exploration et de découverte. Ce dernier à une idée de ce qu'il cherche sans que lui soit donné le chemin pour y accéder, et peux ainsi chercher sa route en convoquant sa propre compréhension des lieux.

Les cartes mentales favorisent une expérience de jeu immersive et personnelle, dans laquelle le joueur à la sensation de découvrir par lui-même une géographie qui lui est étrangère. La géographie du jeu est alors un territoire mystérieux dans lequel sont disséminés des indices, et dont la cartographie est une construction subjective effectuée par le joueur. Chaque joueur dispose ainsi d'une carte sensiblement différente, en fonction de sa propre expérience de jeu, et de sa faculté à se repérer et à relier mentalement plusieurs espaces.

Activité pratique

Racontez votre carte mentale

Décrivez de mémoire l'itinéraire entre deux lieux que vous connaissez, en décrivant plusieurs éléments sur le trajet. Ces éléments peuvent-être des repères identifiables pour trouver son chemin, ou des éléments plus spécifiques qui relèvent de votre expérience personelle de ce trajet.

La carte subjective

Certains jeux permettent aux joueurs de consulter des cartes réalisées par un de ses personnage. Il s'agit alors, d'une certaine manière, de consulter la carte mentale d'un autre personnage. On dit de ces cartes qu'elles sont subjectives car comme la carte mentale, elle relève de l'appréciation d'un espace par une personne, et ne se repose pas sur des mesures objectives. Là où les cartes intelligentes vous offrent la garantie que chaque information présente sur la carte est exacte, respecte scrupuleusement les proportions de l'environnement de jeu, les cartes subjectives se présentent comme volontairement imprécises, voir complètement biaisées.

Dans cet exemple, le joueur s'introduit dans un bâtiment pour y dérober des objets. Il s'agit d'un jeu d'infiltration, le joueur doit évoluer dans le jeu avec beaucoup de prudence afin de ne pas se faire remarquer. Il lui est donc crucial de savoir se repérer, mais aussi de savoir où se trouvent les personnages qui seraient susceptibles de révéler sa présence.

Voici un exemple d'une carte que le joueur peut consulter durant sa partie. Dans l'univers narratif du jeu, la carte est présentée comme étant rédigée par un personnage, et nous renseigne sur l'architecture du bâtiment que le joueur doit pénétrer. Seulement, la carte est très schématique et ne correspond que partiellement à l'environnement dans lequel circule le joueur. S'il veut avoir une compréhension globale du bâtiment, le joueur est obligé d'effectuer un travail d'interprétation. Pour cela, la carte contient différents niveaux d'information, avec des annotations documentant la présence d'autres personnages, offrants ainsi différentes pistes pour le joueur dans son interprétation.

Dans cet autre exemple, la carte ne donne aucune information géographique. Elle renseigne en revanche le joueur sur les évènements qui l'attendent, et l'ordre dans lequel ces derniers vont advenir, mais surtout, elle alimente l'univers narratif dans lequel s'inscrit le jeu. Comme avec la carte mentale, le joueur peut s'imaginer par lui-même les lieux qu'il va rencontrer, mais dispose aussi d'un indice sur la perception de ces lieux par d'autres personnages.

Comme d'autres type de cartes vus précedemment la carte subjective permet de favoriser l'immersion en laissant le joueur se repérer par lui-même en ne lui donnant accès qu'à un nombre restreint d'informations. Mais ici, la fiabilité même de ces informations peut être mise en doute, puisqu'elles sont fournies par un personnage fictif dont le joueur ne connaît pas les intentions, ni même capacités à rédiger une carte juste. La carte subjective nous raconte ainsi autant d'éléments sur la géographie du jeu que sur les personnages qui en sont les auteurs : quels sont les éléments qu'ils ont jugés notables, comment ont-ils choisis de les figurer ? Elle est à la fois un moyen de donner des indices au joueur, que de donner corps à l'univers fictif dans lequel se déroule le jeu.

Activité pratique

Imaginez la carte subjective de quelqu'un d'autre

Réalisez une carte du point de vue de quelqu'un d'autre ( un animal de compagnie, un ami, un parent, un véhicule... ) à partir de sa propre expérience, et relevez ce qui est susceptible de l'avoir marqué lors de ses déplacements dans cet espace.

La carte hub

En plus d'assister le joueur dans ses déplacements, la carte peut donc aussi jouer un rôle narratif. C'est le cas des cartes subjectives, mais aussi des cartes hub. Un hub est un lieu, un espace ou un appareil permettant de connecter entre eux plusieurs éléments. Dans le cas d'un jeu vidéo, le hub est un espace central permettant au joueur d'accéder à différents autres espaces du jeu, d'autres niveaux, mondes etc. Un hub peut-être un niveau à part entière, mais peut aussi être une simple interface, à la manière d'un menu. La carte hub, permet ainsi de naviguer dans un jeu divisé en espaces distincts, en utilisant l'apparence et les codes de représentation d'une carte. Cette carte n'a cette fois-ci pas vocation à aider le joueur à se repérer, mais plutôt de relier entre eux des lieux distincts en dessinant une géographie fictive.

Dans cet exemple, le joueur utilise une carte hub pour accéder à un niveau. Le joueur est dans une forêt, elle-même divisée en plusieurs espaces qui sont autant de niveaux auxquels le joueur peut accéder. Comme dans la carte lacunaire, toutes les informations ne sont pas communiquées au joueur : seulement une portion de la carte n'est visible, permettant de masquer la suite, et toutes les connexions possibles entre les niveaux ne sont pas tracées, celles-ci seront révélées au fur et à mesure de la progression du joueur. Ensuite, si la structure de ce jeu nous invite à envisager chacun des ses niveaux comme des unités géographiques différentes, la carte nous permet de les envisager ensemble dans un paysage cohérent. Dans cet exemple le joueur déplace son personnage sur une zone bleue, ce dernier se retrouve alors les pieds dans l'eau, faisant ainsi la liaison avec le niveau correspondant. Avec ce type de détails, les cartes hub s'appliquent à nous convaincre que ces différents espaces sont reliés, comme s'ils étaient des représentations avec des échelles différentes d'un même lieu.

Il est intéressant de noter par ailleurs que les cartes hub sont aussi l'occasion de mettre en place un réseau de connexion complexe entre différents niveaux, de façon lisible et même stimulante pour le joueur. Par exemple, un même niveau peut être terminé de plusieurs façons différentes, établissant pour chacune une connexion différente avec le reste du jeu. Certaines connexions deviennent ainsi secrètes, tandis que d'autres apparaissent comme plus évidentes, et plusieurs cheminements différents peuvent permettre d'accéder à un même chemin.

Activité pratique

Imaginez un réseau fictif à partir de lieux réels

Définissez plusieurs unités géographiques à partir de lieux que vous connaissez, puis reliez-les entre eux de façon à créer une géographie fictive, avec des bifurcations et des chemins secrets.

Un article par Colin Thil.

Initialement rédigé pour une conférence/atelier avec Fériel Boushaki dans le cadre du volet Légender du projet Vision Vapeur.